09 Juillet 2015

Le dynamisme américain

Pays et régions

Dans l’âme des peuples, André Siegfried s’interroge sur l’avenir des États-Unis. En 1950, il se demande si « l’idéologie nationale » est toujours en vigueur.

Le dynamisme américain

Dans l’âme des peuples, André Siegfried s’interroge sur l’avenir des États-Unis. Il se demande si "l’idéologie nationale" est toujours en vigueur. Pouvons-nous apporter une réponse à sa question, 65 ans plus tard ?

La culture américaine

La culture américaine est le fruit de facteurs complexes et son évolution se poursuit à un rythme rapide. Pour l’auteur, son épanouissement n'est pas achevé, "L'Américain n'est pas encore fixé" et il faut constamment en réviser la description. A partir d’éléments anciens, est né un peuple nouveau qui a atteint rapidement son apogée et qui est à un tournant de son histoire, telle est la vision d'André Siegfried en 1950.

Les facteurs qui ont formé les Américains

Géographie

Les États-Unis sont en Occident mais plus en Europe alors que la Russie n’est plus en occident mais encore en Europe... André Siegfried fait ici la synthèse de sa réflexion sur les pays qu'il a étudiés dans L'âme des peuples et positionne les États-Unis par rapport aux autres.

Il constate que l’abondance des territoires et la grandeur de la nature ont généré des relations spéciales entre l'homme et la nature qu'on retrouve dans la stratégie américaine. L'homme a conquis la nature plus qu’il ne s'y est adapté, sans tenir compte des limitations imposées par le climat, l’usure des sols. Il force la nature pour en obtenir ce qu’il veut, sans respecter les lois de la durée et de la maturation.

Il est intéressant de comparer ce point de vue à celui de François Jullien sur la stratégie chinoise des transformations silencieuses : il est inutile de tirer sur la plante pour la faire pousser mais il convient de favoriser les conditions idéales. Pour les Chinois, la transformation est l'envers de l'action et s'inscrit dans la durée. Deux conceptions radicalement différentes...

Immigration

Entre 1815 et 1914, on assiste à un "immense déplacement ethnique" : 30 millions d’hommes quittent l’Europe pour l’Amérique du Nord. La transplantation a transformé tous ces Européens en un peuple nouveau que l'assimilation rend méconnaissable. Il y a trois grandes vagues d'immigration :

  • 17e et au 18e siècle : colonisation anglaise, protestante et puritaine.
  • 19e siècle : des Anglais, Écossais, Allemands, Irlandais, Scandinaves, Juifs cherchent à fuir famines et persécutions pour trouver une vie nouvelle et libre. Les Allemands apportent le sérieux et la réglementation. Les Irlandais catholiques introduisent le goût de la fantaisie et du désordre qui détend l'atmosphère puritaine. Les Juifs apportent leur inquiétude, leur curiosité, leur recherche d'argent et des idées.
  • 1880-1914 : la vague slavo-latine a déferlé sur l'Amérique du Nord pour échapper à la pauvreté.

Pour que le processus d’immigration s'achève, il faut trois générations. "L’Amérique a assimilé l'immigration dans son creuset".

Économie

Dans ce pays, économiquement jeune, l'auteur remarque qu'il est plus facile de créer des richesses nouvelles que de partager les richesses existantes alors que dans la vieille Europe, il est plus facile de partager que de produire. "Là où l'Européen est devenu un révolutionnaire, mettant l'accent sur le partage, l'Américain reste politiquement un conservateur." L'attitude vis à vis des ressources naturelles, de leur exploitation, de la production, de l'argent et du profit est radicalement différente. De cette conception est né le dynamisme américain. Peut-on le comparer au dynamisme de l'Europe du 19e siècle ? Est-ce une question d'âge ou s'agit-il de caractéristiques culturelles ?

L’évolution de la mentalité américaine

L’âge du pionnier

Le pionnier s'appuie sur des principes individualistes : initiative, responsabilité personnelle, acceptation d'une vie dure. La conception de la vie est fondée sur l'initiative de l'individu, sans intervention de l'État, sauf pour punir les crimes. Il en résulte un certain désordre, lié à une spéculation effrénée, à un goût pour l'aventure et une forme d'excentricité. L’Américain est un créateur "risque-tout".

L’âge de la machine

La conquête du continent achevée, la technique et les conditions nouvelles de production vont faire évoluer le niveau de vie et la mentalité américaine. Le sérieux, l'organisation et la discipline l’emportent sur l'initiative individuelle et la fantaisie. L'auteur considère qu'il y a un "décalage entre l'idéologie des pères de la Constitution et la chaîne d'assemblage de Ford". Le "rouleau compresseur de la standardisation" a créé une unité chez ces Américains d’origine si disparate qui tendent, malgré les différences, à voir partout de la même façon : mêmes maisons, mêmes restaurants, mêmes revues, mêmes slogans, mêmes idées… Cette uniformité est devenue l'un des ciments de l'unité nationale. Non seulement elle est acceptée mais elle est accueillie comme un progrès. Cette standardisation est devenue la marque la plus significative de la société américaine.

La psychologie américaine

Le melting pot a-t-il abouti à constituer une personnalité américaine propre ?

L'assimilation a consisté à transformer l'immigrant en Anglo-saxon. Il a dû accepter une structure sociale même si elle n’était pas faite pour lui. Il n’avait pas le choix mais il l’a fait d’autant plus volontiers que c’était la preuve de son assimilation et il a intégré les caractéristiques américaines.

Initiative

L'initiative et l'efficacité résultent du respect de l'effort et de l'absence de routine.

Confiance

L’Américain a confiance dans l’avenir, dans l'homme, dans les États-Unis, dans la Constitution léguée comme un dépôt sacré par les grands ancêtres.

Optimisme

Il est viscéralement optimiste et convaincu que rien n'est impossible à l’énergie et à la volonté de l’homme. "C'est l'orgueil du pionnier qui a mis en valeur un continent, c'est aussi la liberté d'esprit d'un homme qui croit avoir pour lui l'avenir et ne se sent pas prisonnier du passé."

Civisme

On retrouve ici l'héritage du « service social » protestant qui repose sur le devoir, le goût d'évangéliser, le besoin de juger les bons et les méchants et de faire la leçon. "Du haut de sa rectitude morale, l'Amérique est pleine de bons conseils. L'humilité, on le sait, est une vertu catholique."

Idéalisme ou Matérialisme

L'Américain est à la fois idéaliste et matérialiste, ce qui n’est pas contradictoire pour lui.  "C'est un apôtre qui parle en dollars des choses de l'esprit… un croyant qui croit que tout s'organise, y compris l'esprit ; s'il est sincèrement pénétré de la dignité de l'homme, il estime que cette dignité est inséparable de son niveau de vie." Il est de son devoir d’améliorer la condition de l'homme dans le monde : "Bible, frigidaire et démocratie à l'occidentale ! Sa bonne volonté est sincère, sa bonne foi absolue."

Discipline

Docile et obéissante, la masse américaine aime le système américain. L’Américain au nom de la compétence, est prêt à tout accepter. Pour lui l'éducation est essentielle, mais doit être pratique. "Il la considère moins comme l'acquisition d'une culture que comme un ensemble de recettes." La standardisation de la production s’appuie sur discipline collective pour fabriquer des séries en masse.

Conformisme

Hier fantaisiste, l’Américain est devenu conformiste. Pour l'immigré, ce conformisme devient même un signe de son assimilation, de son adoption dans la famille américaine. Il ne faut surtout pas se distinguer ; on est content d’être comme tout le monde, d’avoir la même tenue, les mêmes idées. "C'est resté la mode de vanter l'individualité, mais si elle prend la forme de l'originalité, de la protestation contre les slogans acceptés de tous, elle vous rend éventuellement la vie difficile, le succès moins probable. Il y a là, ne le voit-on pas, une dangereuse leçon de passivité et je ne serais pas loin de voir dans cette tendance au conformisme un des dangers d'avenir de cette civilisation."

Les États-Unis aujourd'hui

Les Américains croient en leur chance et en la technique ; "cette jeune et nouvelle divinité, l'emporte sur la culture, déesse en déclin… Ils sont si fiers de leurs instruments de pensée qu'ils en oublient presque la pensée elle-même et l'esprit critique s'incline devant la compétence de l'expert."

Attaché à l'idéologie nationale (individualisme, initiative, liberté, concurrence), l’Américain cherche à limiter l'intrusion de l'État dans sa vie privée, plutôt qu’à lui demander d'assumer de nouvelles charges. Mais André Siegfried s’interroge : l'individu ne serait-il pas tenté de recourir de plus en plus à l'État, quitte à accepter sa discipline sociale (New Deal, Fair Deal, Welfare State) ? On pourrait ajouter Obamacare.

Après avoir expliqué les fondements du dynamisme américain, l’auteur se demande si l’organisation ne va pas prendre le pas sur l’individu. Pour lui, « l’idéologie individualiste et libérale ne cadre plus avec les exigences d'une société désormais presque totalement industrialisée. » Et pourtant il rappelle que la seconde guerre mondiale a montré que les Américains étaient capables d'imagination créatrice et d'organisation.

Aujourd’hui les États-Unis sont encore incontestablement la première puissance mondiale, le dynamisme économique de la Silicon Valley est indéniable ; Bill Gates, Steve Jobs, Larry Page, Sergey Brin et les autres prouvent que le dynamisme américain est encore bien vivant.

André Siegfried pensait que la standardisation et le conformisme risquaient de tarir l’esprit créatif ; or c’est ce qui permet de rentabiliser les innovations et de pouvoir en financer d’autres. Ces deux systèmes, loin de s’opposer, se complètent et se renforcent en poursuivant les mêmes objectifs de rentabilité et de profit. L’initiative individuelle est toujours valorisée et l’esprit pionnier n’a pas disparu mais ils s’épanouissent aux États-Unis grâce à l’organisation américaine qui ne laisse pas de place à la fantaisie, aussi paradoxal que cela puisse paraître.

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