Trois grands jeux de stratégie de l’humanité
« Le champ de graines sur le plateau du Songo souffle les pétales de nos cultures dans ce qu’elles ont de noble, et sont ainsi le moteur de notre réelle modernité. »
Serge Mbarga Owona
Trois mouvances culturelles
Ces jeux de stratégie correspondent géographiquement à trois mouvances culturelles qui englobent l’Asie avec le Wei ch’i , ou jeu de l’encerclement d’origine chinoise, mieux connu sous son appellation japonaise de Go, les Échecs qui bien que d’origine indienne se sont surtout développés en Occident, et un troisième méconnu dont le berceau est en Afrique sous une multiplicité de noms, dont celui de Songo au Congo, et parmi lesquels nous retiendrons Awélé, ou le jeu des semailles. S’il se pratique avant tout en Afrique, son aire d’influence s’étend sur une partie du Moyen Orient et jusqu’en Mongolie, avec une présence dans les Caraïbes.
Physiquement, ces trois jeux se déroulent sur des plateaux où deux joueurs placent ou déplacent des pions et pièces (Échecs), des pierres (Go) ou bien des graines (Awélé). Les caractères de ces plateaux impliquent des orientations stratégiques et tactiques spécifiques.
L’échiquier
Il contient soixante-quatre cases dans lesquelles se déplacent des pièces de valeurs et capacités différentes. Les pions, fous, tours, chevaux, reines et rois évoluent différemment en occupant les cases. Une fois le roi adverse tombé, la partie est finie indépendamment du rapport global des forces restantes. Le vainqueur peut être numériquement très inférieur et l’emporter sur un échec et mat.
Au début d’une partie d’Échecs, l’intégralité du potentiel de jeu est visible et disponible sur l’échiquier. Habituellement, les joueurs s’en disputent le centre. Qui s’en empare s’assure d’un avantage à la fois offensif et défensif.
Une telle occupation moyennant une bonne connexion avec sa base arrière, exclut de fait la possibilité pour l’adversaire de faire de même, l’occupation est exclusive. Cette maitrise représente un enjeu intermédiaire de taille avant la mise en échec du roi adverse.
Le go-ban
Ce ne sont pas des cases que les pierres occupent, mais des intersections résultant du croisement de dix-neuf lignes verticales avec autant d’horizontales. Paradoxalement, alors que les pierres sont fixes, c’est leur fonction de connexion entre elles et les différents espaces qui font la différence. Leurs mises en relation augmente les marges de mouvement des joueurs, ou les enferment. On parle de collections de pierres lorsque celles-ci s’articulent dans une continuité qui borde un territoire constitué d’un ensemble d’intersections vides.
Alors que le joueur d’Échecs fait le vide dans le potentiel adverse pour atteindre sa cible, celui du Go s’efforce d’acquérir du vide, et c’est la différence quantitative d’intersections protégées qui désigne le vainqueur. C’est l’adéquation, ou non, avec le terrain qui fait la force et la faiblesse d’un soldat, écrit Sun Tzu, pas sa valeur a priori, ou en soi, indépendamment des circonstances où il se trouve.
L’Awélé
Le plateau de l’Awélé est à trois dimensions et un seul sens de circulation. Il est habituellement constitué de deux rangées de six creux occupés en début de partie par quarante-huit graines réparties quatre par quatre. Le principe de ce jeu des semailles consiste à trouver les bonnes configurations et bonnes circulations pour planter des graines et en récolter plus que son adversaire et dans son camp à lui.
Il n’y a pas de centre vital (roi) à détruire ou d’espaces vides à circonscrire pour les maitriser. En fonction de la circulation des graines, la moisson se fait dans le camp, soit la rangée, adverse. Chacun à leur tour, les joueurs vident l’un des creux qui se trouve de leur coté, puis ils en sèment les graines une à une dans les trous successifs et en sens inverse au mouvement des aiguilles d’une montre. Si, dans le camp adverse, la dernière des graines plantées crée la somme de deux ou de trois, ces graines sont récoltées et retirées. Il en va de même si le creux précédent affiche le même nombre, et cela jusqu’au dernier creux de la rangée adverse.
La répartition des richesses varie dans un système fini, en d’autres termes selon une logique de jeu à somme nulle où le montant des gains de l’un correspond aux pertes de l’autre.
Pierre Fayard
Professeur à l’Institut d’Administration des Entreprises, Université de Poitiers
Suite de cet article : Culture et jeu de stratégie
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