Un Français au Japon
Dans Le Réveil du Samouraï. Culture et stratégie japonaises dans la société de la connaissance, je rends compte d’une anecdote symptomatique à travers ce titre Lost in Shinjuku, du nom d’une station à la complexité toute japonaise où circulent quotidiennement des millions d’usagers.
J’organisais alors un séminaire entre experts français et japonais en gestion du savoir à l’Ambassade de France à Tokyo. Pour les besoins organisationnels, j’arrivais dans la capitale nippone quelques jours avant mes collègues français. L’un d’entre eux, qui y mettait les pieds pour la première fois, arriva un matin afin de pouvoir satisfaire son rêve de découverte de la ville. Je le retrouvais le soir dans notre hôtel, et m’enquérais de savoir si tout s’était bien passé pour lui dans ce pays des signes ?
Perdu dans le métro à Tokyo
« Aucun problème, j’ai tout compris, qu’il me répondit. Le métro de Tokyo n’a plus de secret pour moi à présent, j’en ai saisi la logique. D’ailleurs, qu’il continuait, dans une station qui a nom Shin…juku ce matin j’étais perdu à la sortie d’un escalier. J’ai déplié mon plan. À peine l’avais-je ouvert qu’un Japonais vint vers moi pour s’offrir, dans un mauvais anglais, de m’aider ? Il m’invita à me déplacer vers une zone moins encombrée. C’est incroyable tu sais, lui aussi il s’intéresse à la gestion du savoir car nous avons échangé des cartes de visite et nous allons peut être nous revoir. Une fois qu’il a compris ce que je cherchais, il m’a accompagné jusqu’à l’entrée de la bonne ligne de métro, et il a attendu d’être sûr que je sois monté dans un wagon. Tu vois, je n’ai eu aucun problème ! »
Deux interprétations culturelles possibles
La première est celle de ce collègue scientifique admiratif de ce qu’il interprète comme la gentillesse nippone, mais la seconde, autochtone, ne fonctionne pas sur les mêmes ressorts.
Alors qu’un maudit Caucasien irresponsable et asocial bloquait le passage au débouché d’un escalier en développant largement son plan du métro, et de ce fait gênait tout le monde, spontanément un élément de cette société a pris en charge le rétablissement de la fluidité. Il conduisit à l’écart cet empêcheur de circuler dans les meilleures conditions, et par la suite l’accompagna jusqu’à l’entrée de la ligne ad hoc pour être sûr qu’il n’allait pas à nouveau faire… grumeau dans le métro !
Quid de l’échange de cartes de visite entre le Japonais et ce Caucasien de Français? Celui-ci était tellement content de tendre sa carte fièrement à deux mains tout en s’inclinant comme on lui avait dit pour être poli, que son interlocuteur japonais ne pouvait que lui rendre la pareille, histoire de ne pas le mettre mal à l’aise.
Pierre Fayard, professeur des universités à l’Institut d’Administration des Entreprises à l’Université de Poitiers
Suite de Décoder la culture japonaise
À lire aussi : COMPRENDRE ET APPLIQUER SUN TZU. 36 stratagèmes de sagesse en action. Prix « Stratégie d’Entreprise 2011 », DCF (Dirigeants Commerciaux de France). Pierre Fayard. Éd. Dunod, 2011 (3e édition revue et augmentée).
Il y a 4 commentaires
Il y a sans doute une interprétation qui combine un peu les deux. Il m’est arrivé souvent d’être aidé par des Japonais et même sans gêner le flux de circulation, par exemple dans des périodes hors heures de pointe. N’est-il pas concevable qu’ici, l’autochtone qui a guidé l’étranger ait agi à la fois par gentillesse pour rendre service à cet étranger, et pour rendre sa fluidité à la circulation des piétons dans cette station très animée?
Nous sommes ici dans l’interprétation, bien entendu, la gentillesse à l’égard d’un étranger perdu dans la foule est tout à fait justifiée. Il n’empêche que dérouler un plan du métro au débouché d’un escalier où passent des dizaines et des dizaines de voyageurs ne dénote pas une conscience aiguë des contraintes collectives et de la nécessaire harmonie (Wa) qui permettent une fluidité où l’ensemble, et chacun, se retrouve.
[…] regards-interculturels.fr/2016/04/quiproquo-au-japon/ […]
[…] regards-interculturels.fr/2016/04/quiproquo-au-japon/ […]