Depuis 2009, la sécurité des expatriés en Afrique a changé de visage.
Dans de multiples zones bien identifiées du continent africain, les conditions sécuritaires se sont dégradées si vite que des personnes y ayant vécu il y a 15 ou 20 ans ont souvent de grandes difficultés à admettre cette dégradation et ce qu’elle impose en termes de nouveaux comportements à adopter. Pour ne prendre qu’un exemple, il n’était pas rare il y a encore peu que des expatriés arrivant en fin de séjour d’une ou plusieurs années décident de rentrer en France « par la route » depuis le Congo-Brazza, le Gabon ou le Togo : la préparation minutieuse qui précédait un tel voyage portait sur le choix de l’itinéraire, la logistique du voyage, l’équipement du véhicule, les pièces de rechange à prévoir… Le risque sécuritaire, tel qu’on l’imagine aujourd’hui, n’existait pas.
Installation de l’AQMI
En 2009, tout changea instantanément avec l’installation d’AQMI dans le paysage : des expatriés furent enlevés et assassinés dans des pays de la zone saharo-sahélienne. L’effondrement de la Libye, puis de la République Centrafricaine, l’apparition de Boko Haram et les opérations militaires déclenchées en réaction à ces troubles graves transformèrent ces régions en zones d’insécurité permanente – voire en zones de guerre pour certaines.
Les grands groupes industriels se dotèrent alors d’une « direction de la protection » ou d’un « département sûreté » et l’une des premières difficultés de ces nouveaux organismes fut, avec la prise en compte des nouvelles menaces, de faire adopter de nouveaux comportements à leurs employés se déplaçant dans ces régions, et tout spécialement aux plus anciens d’entre eux.
« L’Occidental » est devenu un enjeu
Depuis 2009, « l’Occidental » est devenu un enjeu politique (portée politique d’un enlèvement ou d’un assassinat) ou une valeur marchande (rançon ou chantage obtenus d’un kidnapping). Les États occidentaux, la France en particulier (devenue cible prioritaire après ses interventions en Libye et au Mali) ont changé alors radicalement de posture pour leurs représentations diplomatiques, leurs expatriés et leurs groupes industriels majeurs en Afrique. Les ambassades, résidences, consulats, lycées français, auparavant aussi ouverts que l’étaient nos habitudes comportementales dans ces pays jadis familiers se sont « bunkérisés » et ont fait appliquer à leurs ressortissants les règles sécuritaires strictes émanant du Quai d’Orsay.
Par exemple, dès 2011, les nouvelles mesures de protection d’un grand groupe industriel français opérant dans une zone à risque du Sahel étaient validées par une mission dépêchée par l’État autorisant le retour d’expatriés dans une base-vie sous haute protection armée – là où peu de temps auparavant chacun pouvait circuler sans la moindre crainte. Depuis, ces mesures de protection sont auditées chaque année par une mission identique.
Pédagogie à 2 vitesses
Il est, par conséquent, important, dans la préparation de voyageurs vers des pays soumis à de tels risques, de prendre en compte ces changements de posture sécuritaires réalisés aussi soudainement. Un jeune « missionnaire », sans expérience africaine, appliquera sans regret ce qui lui sera conseillé, cependant qu’une pédagogie parfois plus directive sera appliquée aux voyageurs ayant une expérience antérieure de l’Afrique, pouvant remonter aux « jours tranquilles ».
Cette pédagogie à deux vitesses, en fonction de l’expérience ou du passé culturel du voyageur, correspond exactement à la façon dont sont reçues, sur place, les informations sécuritaires et conseils ou mesures de protection prodiguées par les « Security managers » et organismes de sûreté internes aux entreprises déployées en Afrique : la même information sécuritaire, par exemple, déclenchera une inquiétude excessive chez certains ou sera prise avec désinvolture par d’autres.
Côté industriel, on trouve un grand écart identique : certains groupes français, qui avaient retiré leurs expatriés (parfois remplacés par des cadres locaux de la sous-région) dès l’apparition d’AQMI ou avaient cessé purement et simplement leurs activités dans ces pays, sont toujours réticents à y revenir. D’autres groupes, ayant une grande expérience africaine, sont de retour grâce à des mesures très souples et pragmatiques. D’autres encore – dans le domaine du tourisme par exemple – n’hésitent pas à adopter une ligne de conduite téméraire au prétexte de garanties sécuritaires promises par les États concernés. Notons que le tourisme, ainsi que le passage annuel du « Paris-Dakar », étaient il y a quelques années encore des vecteurs de communication très importants pour ces pays (ainsi qu’une manne financière non négligeable) : l’un et l’autre ont malheureusement disparu du paysage saharo-sahélien.
Différentes approches de la sécurité
Par ailleurs on constate de plus en plus chez les futurs expatriés (profils plutôt jeunes), une sorte de lâcher-prise sur ces aspects sécuritaires liés au risque terroriste qu’ils considèrent désormais comme un phénomène mondial et transverse. De Paris à Londres, d’Abidjan à Bamako, ils ont un peu l’impression que la menace est partout et que la sécurité n’est plus l’apanage des pays développés. Ce lâcher-prise se conjugue à une forme de fatalité qui modère finalement l’inquiétude qu’ils auraient pu avoir vis à vis de la destination « Afrique » si les actes terroristes n’avaient pas lieu en Europe et dans le reste du monde également.
La sûreté des expatriés en Afrique doit donc tenir compte de ces différences d’approches et d’expériences. Si, nous l’avons vu, des mesures de sûreté pourront être appréciées de façon radicalement différente, voire opposée, par les expatriés à qui elles seront imposées, il pourra en être de même avec la formation proposée à ces mêmes expatriés avant leur départ. Formation et mesures pratiques doivent donc s’appuyer sur une connaissance fine du « monde expatrié » et du nouvel environnement dans lequel les voyageurs seront projetés ; ainsi que sur une argumentation adaptée aux différentes catégories de voyageurs, variant entre ceux trop sûrs d’eux-mêmes, et ceux trop inquiets.
Benoît de Rambures, ESEI, partenaire d’Akteos
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