En assurant la transformation industrielle, digitale et plus largement de l’organisation du groupe MICHELIN, Jean Dominique SENARD s’est imposé comme l’un des patrons français les plus brillants de sa génération.
Premier dirigeant non familial, il a conforté la place de leader du Groupe, en s’appuyant sur des équipes totalement multiculturelles.
Jean-Dominique SENARD a bien voulu répondre à nos questions au milieu d’une actualité chargée.
Autonomie et responsabilisation au plus près de la route chez Michelin
Comment avez-vous découvert l’international et que vous a-t-il apporté dans votre pratique professionnelle ?
Mon père diplomate m’a éveillé très tôt à la circonstance internationale, en particulier celle du Moyen-Orient.
J’ai démarré professionnellement dans les années 1980 chez Total, dans une atmosphère très internationale, à un moment où la France était encore tournée vers elle-même. Ensuite, pour Saint-Gobain, dans des fonctions financières, j’ai vraiment découvert ce que c’était, notamment en Allemagne. Là-bas, j’y ai appris beaucoup en matière de dialogue social.
Plus tard, en tant que dirigeant du groupe Pechiney, j’ai été confronté à la compétition mondiale et l’exposition personnelle à laquelle elle oblige.
Ces expériences m’ont donné du recul et un point de comparaison entre la France et d’autres pays. J’ai constaté que les comportements humains sont souvent plus conformes et plus cohérents qu’on ne peut le penser de prime abord. Il existe des valeurs universelles que les gens acceptent comme telles. Chez Michelin, elles sont perceptibles dans l’environnement et c’est une des raisons pour lesquelles nous avons pu constituer sans difficultés majeures des équipes mondiales. Par ailleurs, il est aussi nécessaire dans un environnement international de comprendre son interlocuteur dans ses spécificités locales.
Quelles ont été les conséquences de l’internationalisation sur le groupe MICHELIN ?
Il y a déjà cent vingt ans que Michelin est à l’international. Je ne prendrai que deux exemples pour illustrer cette histoire :
- Dans les années 1970, Francois Michelin a fait grandir le Groupe en lui donnant, au travers d’acquisitions majeures, un véritable rang mondial.
- Après la crise de 2008-2010, dans un contexte de compétition très âpre, le Groupe s’est lancé un défi exceptionnel : la construction simultanée de grandes usines autour du monde pour contrer un risque majeur d’isolement face à la croissance considérable d’acteurs asiatiques.
Comment transcrire à un niveau global des valeurs enracinées localement à Clermont-Ferrand, le berceau du groupe ?
Michelin est une entreprise internationale d’origine française. Ses valeurs, ancrées localement et portées par la famille, lui ont insufflé un formidable esprit de cohésion. Aujourd’hui, toutes les personnes qui nous rejoignent ne connaissent pas Clermont-Ferrand et la longue histoire de Michelin. Cela dit, lorsqu’elles nous rejoignent, elles voient tout de suite son caractère singulier. L’affectio societatis est immédiat parce que l’accueil est rigoureusement homogène autour du monde, en même temps que le respect et le soin des personnes ainsi que l’attention portée par le management sur leur avenir.
Ce fait unique, j’ai participé à le développer en l’adaptant à la culture moderne de la responsabilisation.
Qu’est-ce que vous appelez la responsabilisation ?
La responsabilisation, c’est expliquer l’évolution des choses, donner l’autonomie aux équipes pour qu’elles prennent en main cette évolution et qu’elles apportent elles-mêmes les solutions aux problèmes.
Le Groupe est en train de vivre un changement culturel. Ce changement correspond à une aspiration d’une grande partie du corps social du groupe qu’il faut satisfaire par une mise en œuvre méthodique, en préservant le bien-être des collaborateurs. Pour qu’il soit possible, il faut transformer les pratiques managériales. De « donneurs de directives » ou « contrôleurs », les managers deviennent des « conseillers », des « solutionneurs », des « développeurs de personnes ». Ce principe de fond est très unifiant au niveau mondial.
Quels sont les atouts de MICHELIN et plus généralement des Français aujourd’hui pour gagner la compétition internationale?
La transformation du rôle du manager chez Michelin est une révolution au regard d’une culture française du contrôle et de la centralisation. La bonne nouvelle est qu’au-delà de la résistance initiale, on observe dans le management français une soif d’ouverture et de changement qui est surprenante. Si on poursuit sur cette voie, la France peut faire des miracles.
Quelle est, selon vous, la singularité du management français ?
Les Français ont tendance à beaucoup raisonner avant de prendre des décisions, à l’inverse du pragmatisme nord-américain par exemple. Cette tendance s’exprime parfois trop, jusqu’à l’inefficacité. Chez Michelin, nous avons porté beaucoup d’attention dans notre internationalisation à limiter l’influence de ce singularisme français à l’intérieur des équipes multiculturelles. Ces équipes offrent un enrichissement mutuel considérable. Cela prend toujours un peu de temps avant qu’il ne soit apparent, mais, au fil du temps et de l’expérience, le croisement de comportements différents oblige à affiner sa capacité d’écoute et forge les tempéraments. Et puis, elles amènent l’ouverture ; dans le contexte instable et mouvant de la compétition internationale, Michelin doit s’ouvrir, tout en préservant ses valeurs.
Propos de Jean-Dominique Senard
recueillis par Charles Rostand et Mehdi Clément pour Akteos
Il y a 3 commentaires
Merci pour cet article très inspirant. Il donne envie d’appeler MIchelin pour en savoir davantage sur l’accompagnement managérial mis en oeuvre.
Remarquable Senard, lire cet entretien rend optimiste
Devrions-nous comprendre par cet article que Michelin est parti à l’international pour se rapprocher des clients d’autres continents et pour diversifier sa culture d’entreprise?